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  • Huguette Rulisa

La justice, une voie illusoire pour les victimes d’agressions sexuelles ?

Dernière mise à jour : 2 juin 2020


Ces derniers mois, le mouvement #metoo a mobilisé les internautes sur les réseaux sociaux. Cette initiative a vu le jour peu de temps après le dépôt des accusations d’agressions sexuelles portées contre M. Harvey Weinstein. Effectivement, plusieurs victimes ont dénoncé les actes de harcèlement ou d’agression sexuelle, tandis que d’autres personnes ont partagé le #metoo sur Twitter, Instagram ou Facebook. Cette vague de prise de conscience a pour but de lever le voile sur ce que de nombreuses femmes ou jeunes filles ont vécu, en plus de donner aux victimes un moyen de reprendre le contrôle qui leur a été pris de force. Ce mouvement m’a menée à m’interroger sur le rôle que joue notre système de justice suite à la dénonciation d’une relation sexuelle non consentie. Les victimes obtiennent-elles justice au final?

Tout d’abord, dans le but de porter plainte, les premières personnes avec qui la victime interagit sont les policiers. Il est donc légitime de se demander si les membres des services de police assurent un réel suivi des plaintes déposées par les victimes d’agression sexuelle à l’encontre de leurs agresseurs. Une étude faite par Statistique Canada en 2014 démontre que parmi 633 000 agressions sexuelles déclarées lors du sondage, seulement 20 735 incidents auraient été reportés aux policiers par les victimes dont uniquement 1 814 cas ont abouti à une condamnation. Pourquoi? Cela peut s’expliquer par le fait que les victimes ne pensent pas faire le poids face à l’attitude désapprobatrice, sexiste et stéréotypée des policiers visant à décrédibiliser leur témoignage. En effet, les victimes se font poser toutes sortes de questions dont la réponse ne peut aucunement excuser le comportement de leurs agresseurs : Comment étiez-vous vêtu lors des événements? Aviez-vous consommé de l’alcool? Aviez-vous essayé de repousser votre agresseur, etc. ?

Par ailleurs, une fois que les policiers ont pris une déposition, ils peuvent simplement décider de ne pas y donner suite. En 2014, parmi les 20 735 dépositions des victimes, les policiers auraient décidé de déclarer seulement 12 663 plaintes. De plus, suite aux enquêtes policières destinées à trier les cas sérieux à envoyer au Directeur des poursuites criminelles et pénales(DPCP), 9 088 de ces plaintes auraient été reçues par le DPCP de la part des policiers en 2014. Au cours de la même année, la couronne, chargée de sélectionner les dossiers ayant assez de preuves pour aller en cour, aurait envoyé devant les tribunaux 3 752 plaintes. Ces chiffres sont tout simplement troublants !

Ce qui m’intéresse particulièrement est la question du fardeau de preuve lors d'un procès. Notre système de poursuite criminelle est basé sur la présomption d’innocence, un principe qui s’applique également dans un cas d’agression sexuelle. Dès lors, le lourd fardeau de preuve revient à la victime. Il faut comprendre que ces crimes prennent place loin des regards et à l’abri des témoins. Ainsi, prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l’accusé devient une affaire très ardue considérant que c’est la parole de la victime contre celle de son agresseur. C’est là où les choses deviennent plus problématiques au niveau émotionnel. La victime doit alors raconter avec le plus de précision possible la manière dont se sont déroulés les évènements. Il est non seulement difficile pour la victime de revivre l’incident, mais d’autant plus pénible de faire face aux questions de la partie adverse qui tente de discréditer son témoignage. Martine Ayotte, une survivante d’agression sexuelle dépeint bien le portrait du comportement de la partie adverse dans son roman La proie. Elle dit ceci : « Très vite, j’ai compris que l’autre avocat n’était pas là pour trouver la vérité, mais pour faire gagner son client en minant ma crédibilité ». Par ce fait, lorsqu’une victime décide de porter plainte, il faut qu’elle se prépare à un long et douloureux processus.

La professeure au Département des sciences juridiques de l’UQAM illustre parfaitement la particularité des questions posées lors d’un contre-interrogatoire d’une victime d’agression sexuelle en comparaison avec une personne qui se fait frapper au visage : « Au procès on ne commencera pas à vous demander si vous vouliez vous faire taper dessus, si vous avez peut-être donné l’impression que oui, etc. ». Alors, pourquoi est-il « normal » de ne pas remettre en question le consentement d’une personne qui s’est fait frapper au visage et qu’au contraire il est nécessaire de commencer à disséquer le comportement de la victime pour établir la présence ou non du consentement?

À mon avis, ces chiffres démontrent clairement que notre système judiciaire a encore un grand travail à faire dans les cas d’agressions sexuelles. Comment pouvons-nous parler de justice quand il y a encore autant de victimes qui ne verront jamais leur agresseur aller en prison? Où est la justice lorsque ce sont les intentions et actions de la victime qui sont remises en cause plutôt que celles l’accusé? Notre système de justice pénale reflète une tentative de protéger autant les victimes que les accusés. Pourtant, l’ironie est qu’au final les victimes sont celles qui se retrouvent à payer pour atteindre cet idéal illusoire d’équité. Je comprends que c’est également important de protéger les gens contre de fausses accusations, mais en fin de compte cela ne fait que montrer aux victimes qu’intenter une action justice n’est pas une réelle option.

Voilà donc pourquoi un grand nombre de victimes ne porteront jamais plainte. Comment le peuvent-elles quand trop d’aspects de notre système ne leur inspirent pas confiance? Récemment, la juge en chef de la Cour Suprême, Beverley Mclaclin a partagé son opinion concernant les procès d’agression sexuelle. Elle a déclaré entre autres que: « Complainants and witnesses need to understand what is required of them in a trial and what they can realistically expect from it ». Ses propos ont soulevé une question qui me semble pertinente de poser. Est-ce vraiment les victimes qui ont de trop grandes attentes envers notre système de justice ou plutôt notre système qui les laissent tomber bien trop souvent?


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