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  • Janice Sebagenzi

La crise anglophone au Cameroun : entre violation des droits humains et vestige du colonialisme

Dernière mise à jour : 30 juin 2020


​Depuis plus de 2 ans, le Cameroun est à la prise d’une crise qui ne cesse de prendre de l’ampleur et pour laquelle aucune solution ne semble éminente. Il ne faut pas s’y méprendre: le conflit qui oppose actuellement le gouvernement camerounais et la minorité anglophone va au-delà d’une simple différence linguistique. En effet, les diverses puissances coloniales qui se sont succédé, en Afrique centrale, sont au cœur du conflit qui déchire le pays. Au 19e siècle, le Cameroun était placé sous domination allemande. À l’issue de la Première Guerre mondiale, l’Allemagne a perdu ses colonies qui sont alors passées sous la tutelle de la Société des Nations (ancêtre de l’Organisation des Nations Unies). Dès lors, le Cameroun a été scindé en deux : le Cameroun français (oriental) sous protectorat français et le Cameroun anglais (occidental) sous protectorat britannique. Une partie du Cameroun anglais appartient, aujourd'hui, au Nigéria tandis que l'autre partie appartient au Cameroun. Le Cameroun a ensuite acquis son indépendance en 1961 pour sa partie française et en 1962 pour la partie anglaise.


Changement du territoire camerounais

Ces changements coloniaux ont entre autres eu pour effet de faire de l’anglais et du français les langues officielles du Cameroun. De ce fait, environ 20% de la population camerounaise est anglophone ainsi que 2 des 10 régions du pays. Ces régions sont celles du nord-ouest dont la capitale est Bamenda et du sud-ouest dont la capitale est Buea. Hormis cette différence linguistique, la France et le Royaume-Uni ont également instauré des institutions politiques, juridiques et des systèmes éducatifs complètement différents.

Bien que le Cameroun ait connu des tensions dans le passé, le véritable soulèvement populaire a débuté en octobre 2016 dans la ville de Bamenda. Un groupe d’avocats revendiquaient la traduction anglaise du Code de l’organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires et celle d’autres textes législatifs votés par l’Assemblée nationale. Ils demandaient également le retrait des juges qui ne parlaient pas anglais et qui n’avaient aucune maitrise du système de common law britannique dans la région. Les enseignants se sont rapidement joints au mouvement. Ils ont ainsi arrêté de travailler en signe de protestation contre la nomination, par le gouvernement, d’enseignants francophones dans les régions anglophones. Dès lors, il est juste d’affirmer que la minorité anglophone fait face à une reconnaissance insuffisante du système juridique et éducatif anglais, et ce depuis plusieurs années. Celle-ci vit aussi une marginalisation politique et économique, car les résidents des régions anglophones sont victimes de sous-représentation dans les jurys des concours d’entrée aux grandes écoles et sont exclus des emplois de la fonction publique. À cela s’ajoute la négligence des infrastructures de l’Ouest anglophone. Parallèlement, le président fait rarement des déclarations en anglais et la majorité des documents officiels, examens publics et radiodiffusions de l’État sont en français, et ce malgré l’égalité reconnue de l’anglais et du français par la constitution camerounaise.

​​Alors que les séparatistes revendiquent la création d’un nouvel État soit l’Ambazonie (Buea en serait la capitale), la majorité des anglophones réclament le retour au régime fédératif qui était en place de 1961 à 1972 jusqu’à ce Ahmoud Ahidjo, le premier président camerounais instaure un régime unitaire. En effet, le retour au fédéralisme permettrait à la minorité anglophone d’avoir leur propre organe législatif et leurs propres représentants politiques ce qui assurerait une représentation adéquate de leurs intérêts et une meilleure gouvernance de leur territoire. Il ne va sans dire que le gouvernement ne partage pas cette vision et il a de ce fait, opposé une fin de non-recevoir aux revendications des manifestants. L’exécutif du pays a même instauré durant une courte période, plusieurs mesures restrictives tels un couvre-feu dans les régions anglophones, l’interdiction d’association dans les lieux publics et un accès limité à Internet qui a d’ailleurs donné lieu à la coupure la plus longue sur le continent qui a duré 3 mois.


Drapeau de l'Ambazonie

En l’absence de réelles négociations, les affrontements entre les deux camps se sont intensifiés et sont quotidiens. D’une part, le gouvernement a recours à la force d’une manière excessive et procède à des arrestations massives, des détentions arbitraires et à la torture. Notamment, le chef de l’opposition, Maurice Kamto, a été emprisonné le 26 janvier dernier après avoir été reconnu coupable « d’hostilité envers la patrie et d’insurrection ». Il a été arrêté avec près de 150 personnes alors qu’il participait à une marche pacifique ayant pour but de revendiquer sa victoire à la présidentielle. L’élection qui a eu lieu en octobre 2018 a permis à Paul Biya d’entamer son 7e mandat. Selon ces chefs d’accusation, Kamto et ses partisans risquent la peine de mort pour l’infraction d’hostilité à la patrie et des peines allant de 10 à 20 ans d’emprisonnement pour l’insurrection. De l’autre part, les séparatistes attaquent, enlèvent et tuent tout individu qu’ils considèrent comme étant des ennemis de la cause. Les répercussions de ces violents affrontements se sont ressentirent bien au-delà des manifestants, car tous ces événements ont malheureusement forcé plusieurs écoles à fermer pour des raisons de sécurité. En effet, environ 43 000 enfants ne seraient toujours pas retournées à l’école en 2018.

Alors que la situation ne cesse de se dégrader, International Crisis Group estime qu’au moins 500 civils et plus de 200 membres des forces armées ont été tués depuis le début des répressions. De plus, près de 200 000 personnes ont été contraintes de fuir et ont notamment dû se réfugier au Nigéria. L’ONG considère d’ailleurs cette crise comme l’un des conflits à surveiller en 2019. Espérons que les parties sauront entamer une discussion avant que cela ne dégénère complètement, car l’unité populaire entre les Camerounais court un grand risque.



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