- Toniya Puvaneswaran
Une loi au service des agresseurs? Le nouvel usage de l'accord de non-divulgation
Dernière mise à jour : 2 juin 2020
Définie comme étant une entente légale entre deux parties qui vise à conserver, de manière confidentielle, l’échange ou la prise de connaissance de toutes informations, l’accord de non-divulgation est un contrat qui, comme le déclare Robert Ottinger - avocat en droit américain du travail -, a été mis en place afin de permettre à des entreprises de partager des idées et des projets commerciaux, de faire des acquisitions et d’établir des partenariats dans un climat de confiance. Toutefois, les évènements des derniers jours concernant le producteur hollywoodien Harvey Weinstein, qui a été accusé de harcèlement sexuel à l’égard de ses employés et de personnalités connues, ont mis sous les feux des projecteurs une autre utilisation de l’accord de non-divulgation : maintenir les victimes de harcèlement sexuel sous silence et protéger leurs agresseurs.
Le scandale des derniers mois a révélé que plusieurs femmes victimes de harcèlement ou d’agression sexuelle se sont vues proposer de signer une entente de non-divulgation en échange d’une compensation financière, d’un support dans leur carrière professionnelle, d’une garantie de préserver leur réputation, etc.
Il peut être difficile de saisir les motivations qui poussent les victimes d’agression sexuelle à signer un contrat qui, à plusieurs égards, protège la personne qui leur a causé préjudice. Néanmoins, il est important de comprendre que, sur le moment, cette simple signature leur apparaît comme une porte de secours qui, au premier regard, semble offrir de nombreux avantages.
Considérant que la société actuelle a tendance à blâmer la victime plutôt que l'assaillant, les victimes préfèrent garder les faits silencieux. Cette solution leur apparaît comme un moyen d'échapper aux propos accusateurs et misogynes qui prévalent encore aujourd’hui, en plus d'éviter de revivre leur agression sexuelle à travers la couverture médiatique et d'effacer toute évidence et tout souvenir du crime. De plus, étant donné qu’il peut être difficile d’obtenir la justice avec le système américain actuel, les victimes sont plus enclines à signer cet accord de confidentialité qui leur permet d’obtenir la plus proche forme de justice de manière immédiate et sans risque. Par exemple, comme le souligne Elisabeth Grace, avocate torontoise pour les victimes d’agressions sexuelles civiles, cette entente donne aux victimes un montant tangible qui ne peut être garanti par le système judiciaire présent et qui pourrait leur permettre, par exemple, de régler les factures de thérapie, de remplacer le salaire perdu durant la période de réadaptation ou encore payer tout autre dommage.
Cependant, à long terme, cet accord de non-divulgation se révèle plus dommageable que bénéfique pour les femmes victimes d’une agression sexuelle lorsqu’elles se rendent compte qu’enfouir cet évènement désagréable ne mène pas à leur guérison et n’entraîne aucune conséquence grave à leur agresseur qui continue à apprécier sa vie comme si rien n’était arrivé et qui, dans certaines situations - comme il a été le cas avec Harvey Weinstein -, continue de faire de nouvelles victimes.
En droit américain, lorsqu’une personne viole un accord de confidentialité, le tribunal peut la contraindre à payer des dommages-intérêts ou à se voir interdire de parler à nouveau de ce sujet. Par contre, il devient capital, dans le cas où un tel accord est rédigé afin de cacher un crime comme une agression sexuelle, de modifier les lois qui encadrent ce type de contrat, car, désormais le contrat n’est plus d’ordre privé, mais plutôt d’ordre public.
Ainsi, plusieurs législateurs et avocats se demandent s’il serait préférable d’interdire, sans distinction de la nature du contrat, la formation d’un accord de non-divulgation ou s’il serait plus réaliste de modifier les lois entourant ce type d’entente contractuelle lorsqu’il est question d’agression sexuelle (et, par extension, d’autres crimes) afin de permettre aux victimes d’avoir des recours et des compensations justes et efficaces.
D’autres juristes sont d’avis que le système tant canadien qu’américain devrait être modifié de sorte à diminuer la responsabilité mise sur la victime. En effet, la sensibilisation face au harcèlement sexuel et à l’agression sexuelle met la pression sur les victimes pour qu’elle parle et non pas sur les agresseurs sexuels qui sont conscients de leur problème. Ainsi, Me Grace et Farrah Khan, une militante contre les crimes sexuels envers les femmes et conseillère éducatrice pour les victimes d'agressions sexuelles, soulève que l'interdiction de la formation de contrats de confidentialité pour les cas de violences sexuelles va dissuader les victimes d'intenter des recours envers leurs agresseurs. En effet, ces dernières sont d'avis que le système judiciaire est sous l'influence de l'argent et du pouvoir, ainsi elles savent que leurs chances de remporter le procès sont infiniment petites et, par conséquent, elles préféreront se taire et éviter de revivre, à travers les procédures judiciaires, une humiliation et attaque à sa vie privée. Pour le moment, les discussions concernant ce sujet viennent à peine d’être entamées et nous sommes bien loin d’une réforme juridique. Entre-temps, nous devons nous interroger sur la validité et les répercussions en cas de violation de l’accord de confidentialité.
Contrairement à la croyance populaire, la situation au Canada concernant l’utilisation d’accords de non-divulgation est la même que celle aux États-Unis, c’est-à-dire que ce type de contrats est souvent utilisé dans les cas d’agressions et de harcèlements sexuels. Pour ma part, je trouve qu’il est sidérant de constater que, par l’entremise, d’un contrat de confidentialité, il est possible d’effacer toutes traces d’un crime en contournant la loi et en la rendant inefficace. Une telle utilisation du droit souligne que, malgré que ce dernier se base sur des principes d’équité et de moralité, le droit n’échappe aucunement à l’influence issue du pouvoir et de la richesse.